Organisation du contournement démocratique

Première étape : intégration dans un PLFSS

Intégrer le projet de réforme des retraites dans un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023. Pourquoi? Pour permettre l’utilisation éventuelle du 49.3 sans griller une cartouche. En effet, depuis la révision constitutionnelle de 2008, l’usage du 49.3 est limité à un seul texte de loi par session parlementaire, à l’exception des projets de loi de finance (PLF) et de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), pour lesquels le gouvernement peut y recourir sans limitation.
Jusqu’ici les réformes des retraites étaient des textes de loi « classiques », qui ont été débattus de façon tout à fait normale à l’assemblée nationale. C’est donc déjà un premier contournement du fonctionnement démocratique.

Deuxième étape : utilisation du 47.1

Recourir à l’article 47.1 de la constitution. Alors que la précédente réforme a donné lieu à un parcours parlementaire classique avec plus de 5 semaines de débats et l’étude de tous les amendements, là on peut faire passer le texte au sénat sans vote préalable à l’assemblée nationale si les discussions ne sont pas terminées au bout de 20 jours, cet article ne peut être utilisé que dans le cadre des projets de loi de financement de la sécu (PLFSS). C’est donc un deuxième contournement puisque la représentation nationale n’a pas pu débattre correctement du texte. Mais bien sur la majorité tente de faire porter le chapeau aux oppositions en disant que c’est à cause de l’obstruction parlementaire que les débats n’ont pas pu avoir lieu.

Troisième étape : utilisation de l’article 38 du règlement du sénat

utilisation de l’article 38 pour accélérer les débats et de l’article 44.3 pour un vote bloqué.

« La « clôture des débats », prévue par l’article 38 du règlement, a été proposée vers 1 heure du matin par le président du groupe Les Républicains Bruno Retailleau sur la série d’amendements visant à la suppression de l’article 7 portés par la gauche. A 1h50 du matin, un amendement de réécriture dévoilé par le sénateur LR Ren-Paul Savary, déposé par la commission des Affaires sociales à la dernière minute, a permis de faire tomber 11 000 amendements déposés par la gauche sur l’article 7, cet article que l’Assemblée nationale n’a pas eu le temps d’examiner et qui recule l’âge de départ à la retraite de 62 à 64 ans. Dans la foulée, les groupes de gauche ont déposé 4000 sous-amendements. Ces derniers ont finalement été déclarés irrecevables. » (source)

En résumé, au sénat non plus, le texte n’a pas pu être discuté dans de bonnes conditions, c’est rarissime ce genre de choses au sénat, ce texte a permis de proposer le vote du texte tel quel avec seulement les amendements acceptés ou proposés par le gouvernement, sans soumettre au vote aucun des amendements que le gouvernement signifie comme refusés. c’est donc clairement un troisième déni démocratique, les 2 pouvoirs législatifs ont clairement été baffoués.

Quatrième étape : passage en CMP

Le passage en commission mixte paritaire qui découle de la troisième étape se fait avec 14 députés/sénateurs, dont 10 sont favorables au projet et 4 sont défavorables, et c’est cette version du texte qui va revenir à l’assemblée nationale pour être soumise au vote des députés. C’est encore un déni démocratique puisque cette CMP est clairement sur la ligne du gouvernement.

Cinquième étape : retour à l’assemblée

Le vote n’aura pas lieu, le gouvernement utilise le 49.3. Tout ça pour ça ! Mais cela signifie que le texte ne serait probablement pas passé si le vote à l’assemblée avait eu lieu. Un vote « pour » aurait été un coup mortel porté au concept de démocratie représentative puisque cela aurait clairement montré que les députés ne représentent pas le peuple. Un membre de la majorité lâche, selon BFMTV  » de toutes façons depuis le début on est passé en force , donc autant utiliser le 49.3″

Le discours de Borne chahuté par les oppositions : avec toujours le même discours contre les oppositions, Borne n’hésitera pas au JT de TF1 le soir même à dire que les oppositions bafouent la démocratie en ne laissant pas les gens parler dans le calme dans l’hémicycle. Mais même JM Apathie sur LCI critique cette posture et dit que la bronca, à ce moment là, est tout à fait légitime puisque refuser de faire voter l’assemblée est une gifle à la représentation nationale et qu’il ne fallait pas qu’elle s’attende à être accueillie avec des fleurs. Ils sont là les retournements orwelliens, tu bafoues la démocratie mais tu dis que ce sont les oppositions qui la bafouent un peu comme quand Poutine dit qu’il mène une opération spéciale en Ukraine pour défendre la Russie contre les agressions occidentales. D’ailleurs plusieurs semaines après, c’est amusant d’entendre Jean Louis Debré rappeler que lors de la privatisation de GDF la gauche avait déposé 146 000 amendements qui ont tous été étudiés, c’était à l’époque où le parlement fonctionnait encore normalement c’est à dire que les gouvernements, même avec la majorité absolue respectaient les oppositions parlementaires. J’ai déjà traité le sujet du brouhaha dans l’hémicycle et de l’obstruction parlementaire il y a quelques mois.

Sixième étape : manifestations spontanées partout en France

A Paris, sur la place de la concorde, la police met en place une nasse puis commence à charger sans raison. Après avoir attisé la colère, alors que toutes les manifestations depuis des semaines se sont déroulées dans le calme sans provocation policière et sans débordement, le ministre l’intérieur et le préfet de police de Paris décident de mettre le feu aux poudres en utilisant la force contre le peuple. Logiquement, ça dégénère, des pavés commencent à voler…..Et pas seulement à Paris.

La suite?

Elle reste à écrire mais s’il y a un embrasement, il ne faudra pas chercher longtemps les responsables. Après tous ces dénis de démocratie, les manipulations grossières pour faire porter le chapeau aux oppositions, alors que 70% de la population et 94% des travailleurs sont opposés à cette réforme malgré des mois de propagande gouvernementale, et que les parlementaires n’ont jamais pu exprimer quoi que ce soit, la colère de la rue semble désormais tout à fait légitime face à ce pouvoir totalement irresponsable.

Du côté du parlement on attend de savoir quelle sera l’issue du vote de la motion de censure qui suit inévitablement le 49.3. Et la première ministre Borne a déjà déclaré qu’il y aura donc finalement bien un vote de l’assemblée , sous entendu la réforme aura donc été votée démocratiquement si la motion de censure est rejetée. Mais non madame ! Justement les LR qui étaient divisés sur le vote de la réforme et qui vous ont poussé à utiliser le 49.3 ont dit qu’ils ne voteraient pas la motion de censure pour ne pas « rajouter du chaos au chaos ». Donc votre gouvernement ne tombera pas, mais cela ne voudra pas dire du tout que votre réforme aura été votée démocratiquement par l’assemblée. Depuis le début les macronistes opèrent ce genre de retournement, ils mentent éhontément, cela en est insultant.

j’ai publié cet article et le lendemain, je constate qu’un prof de droit constitutionnel à la Sorbonne valide totalement mon analyse , son analyse est forcéement plus complète, il explique notamment que « L’article 49.3 a été utilisé pour d’autres fins que celles pour lesquelles il avait été pensé »

6 réflexions sur « Organisation du contournement démocratique »

  1. […] Ainsi donc le gouvernement continue sa communication poutinienne en inversant l’effet et la cause, en soutenant que le feu ça mouille et que l’eau ça brûle. Ce jour dans la même interview dont j’ai mis le lien au dessus, E. Macron déclare sans rire que « le dialogue avec les syndicats va se poursuivre » sauf qu’il n’a jamais commencé, ça a toujours été un monologue et que « le texte sur les retraite va continuer son chemin démocratique », sauf que rien dans le chemin n’a été démocratique. […]

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